|
|
Derrière les étoiles
Les
toiles de Jean-Jacques Laurent, ses papiers, ses livres avec les
poètes, son " travail " comme on dit, sa belle
querelle, cela qui le tient, le soutient, le retient n'est pas un
état, un pur reste, un condensé de couleurs, jus divers,
lignes, matières plissées, déchirées,
brûlées, précipité qui a su donner chance
à tous les hasards du monde surgit là où le
support mais bien au contraire une irruption, un saut sur le devant
de la scène de quelque chose qui se tient toujours à
l'avant de tout ce que nous pouvons en figurer. En dire si nous
écrivons.
Un pas. Donc une
avancée. Un oui. Et un non déjà. Aussi. Dans
le même temps. Une négation, soit l'affirmation de
quelque chose qui se dérobe sous toutes les figurations possibles
et à venir. Et à quoi nous ne pouvons nous dérober.
Ce que j'aime
voir dans les uvres de Jean-Jacques, ce qui m'émeut
dans le procès qu'il a engagé avec la création,
c'est cette obstination à poursuivre.
C'est cela que
j'entends comme un balbutiement têtu. Cela qui ne cesse pas
de murmurer, dans les basses, au plus près de soi, pauvres
eaux qui vont s'ajustant aux pierres du torrent, frêles eaux
qui poursuivent leur cours. Cette voix, on l'entend courir entre
les figures anthropomorphiques qui hantent son uvre.
C'est la voix
de la présence non comme quelque chose de plein, d'inentamé,
de conquérant mais comme le point de déchirure de
l'instant, quelque chose qui se glisse et se dérobe entre
deux présences. Apparition et disparition. Quelque chose
qui diffère et qui renvoie à ce " dérobement
affirmatif de la présence " dont parlait Jacques Derrida.
C'est cela que
j'entends, cela qui fait signe, selon les mots de Pierre Reverdy,
vers ce " noir qu'on n'a pas vu derrière les étoiles
".
Alain Freixe
Nice, juin 2003
Ni
les traits épais de l'encre noire, des teintures trompeuses,
ni les dilutions acides, ni la poudre aux yeux d'or, de l'argent,
du sable, de la terre rougeâtre, ni la charpie des dentelles
rompues, les rabats rêches de la toile de jute, ni les clivages
et les déchirures du carton, les flétrissures du papier
de soie, ni les colles, les giclées, les amas, les éclaboussures
n'y peuvent rien, ni le poids du vécu des choses, l'usure
poussiéreuse et les fentes du bois, les auréoles moisies
des plâtres, les géographies muettes des enduits écaillés,
les plis et les replis des feuilles, leurs crêtes et leurs
vallons, le filet frêle des fluides mauves, les pierres friables
dont sont faites ses colonnes, ces nervures et ces voûtes,
ces accès grillagés, ces réduits qui contraignent
nos membres, et, pour nous évoquer, nous conjurer, ces stèles
spongieuses.
Ombres et filigranes,
pariant sur l'usagé pour éliminer le trait, sur la
lourdeur pour briser le cadre, nous déferons l'angle des
diagonales. Hors de la nasse, cabossés ; harassés,
hirsutes, hérissés, griffus, griffant, fragiles _
ignorez-vous nos froissements, nos effrois, nos fébriles
ferveurs, notre frivolité rose et jaune bariolant l'ocre
et le gris de nos corps ? _ affleurant, émergeant, nous survenons
pour nous rejoindre, nous saisir, nous hisser de ce côté-ci
du regard.
Ephémères, nous peignons à nos couleurs l'espace
d'où nous disparaîtrons.
Jacques Simonelli
Vence, juillet 2003
|