Jean-Jacques Laurent

PETITES VARIATIONS HESITANTES
POUR ACCOMPAGNER LES VARIATIONS POURPRES
DE JEAN-JACQUES LAURENT

Ce qui m'apparaît, là, ce sont des personnages, à l'évidence.
Suggérés, mal définis, troublés, troublants, mais des personnages, indéniablement, d'allure plutôt humaine, malgré tout.

Personnages…c'est beaucoup dire…Mieux : ce sont des portraits ; des visages posés sur des fonds rouges…que dit le titre de l'exposition ? " Variations pourpres ". Voilà : ce sont des visages -esquissées- sur des fonds…pourpres. Pourquoi ?

Le terme d'esquisse ne convient pas. Les visages sont suggérés, mais il n'y a pas un début de traits. Je dis visage uniquement en raison de ces deux formes plus ou moins circulaires symétriquement disposées au-dessus du diamètre d'un autre cercle plus grand…Des yeux…Naturellement.

Je pourrais ne m'attacher qu'à cette apparence d'yeux : puisque c'est là que mon regard d'abord s'attache. On pourrait être gêné à force de se croire observé. C'est toute une variation d'yeux qui me regardent. Ça me regarde.

Le terme d'esquisse me convient. Il y a bien une trace qui souligne et contient, pas que dessine.
Ça entoure un petit volume écrasé…Du papier de soie froissé, un peu brûlé même, et comme jeté là-dessus, écrasé, fixé, entouré d'un cercle noir, et

La suggestion d'un visage se construit autour de ces yeux froissés, écrasés sur une autre couche de papier de soie, froissée elle aussi, mais plus légèrement, plus délicatement et comme à peine déposée sur le support pourpre.
Quelques bouts de papiers de soie froissés, un peu cramés, quelques coups de noir, et je regarde ce visage aux traits confus et flétris qui me regarde, sortant du pourpre.

A cette hypertrophie d'oreille fait écho, à droite du tableau, en haut et en bas, le débordement du papier de soie hors du rectangle de papier : à la fois un équilibre pour le regard, et l'idée que l'œuvre déborde, pourrait se poursuivre au-delà du tableau qui la contient.

La couleur du fond d'où je crois voir surgir ce visage n'a pas été déposée sur le support en premier : il n'y a pas eu une couche de rouge dans laquelle ont été déposés les papiers froissés. Je le vois au fait que le visage ne baigne pas dans le rouge, que les coups de pinceaux s'arrêtent au bord du papier de soie, passe pas à travers le papier de soie translucide. Ces visages ne sortent pas du pourpre : le pourpre les entoure.

Pourpre c'est un autre nom du rouge, une qualité du rouge. Dans notre langue, on dit rouge pour le sang qui coule, mais on parle de pourpre quand le sang monte au visage sous l'effet d'une émotion. Pourpre symbolise aussi la puissance et le pouvoir : c'est la couleur des consuls, des rois et des cardinaux. Mais comme le rouge, le pourpre dit la colère.

En qualifiant de " pourpre " ces variations de papiers, traces noires et fond rouge, l'artiste oriente mon regard, balise les chemins de mon imagination. Il ne cherche pas à l'orienter sur des formes ou des représentations, mais sur des couleurs et sur l'idée que j'ai affaire à un ensemble, à une série, à un travail et à un processus.

Ici les choses se font dans l'excès . Ça tient de la caricature et du masque africain : je ne veux pas te faire reconnaître des gens, me dit le peintre, je veux accompagner les images qui naissent en toi quand tu rencontres la violence des couleurs, des poings qui se referment su des papiers fragiles, de mains qui écrasent des individus, mais les doutes qui les tenaillent, les passions qui les agitent et leur grande attention au monde : tout yeux et tout oreille.

Ici les choses se font dans la mesure. La variation suppose le retour d'éléments identiques autrement organisés ; elle suppose de la raison et permet de mettre à distance les éléments de la variation ; elle est l'un des systèmes fort de toute création, artistique, littéraire ou scientifique. Je ne veux pas te laisser aux colères et aux emportements, me dit le peintre, mes variations veulent accompagner les tiennes et leur permettre de grandir…

Variations pourpres, dit le peintre, pour accompagner ton écoute (ir)raisonnée et critique du monde.

Raphaël Monticelli