Jean-Jacques Laurent


   

" Sauvons les apparences "

Annoncée par une mobilité suspecte des cieux,
Peu de temps avant la pleine obscurité, à l'orée des planètes,
Il y avait eu discordance entre les dieux, concernant le partage des rites.

Silence et oubli, depuis, envahirent la transparence et la fluidité des limbes,
Dissipant toutes formes perdurables à l'histoire.

Entre ciel et terre,
Dans l'immensité du sanctuaire délaissé,
Comme sacrifiés, les oracles bafoués s'étaient tus…
Abandonnant aux mortels leurs épopées et la destinée des mythes.

Dans la latence du nouveau jour,
survint plus tard dans les brumes noires, un bruit étrange.

D'une nuée d'oiseaux désabusés, des sons criés s'échappaient,
Clameurs tumultueuses s'entrecroisant à de confus et lourds mouvements d'ailes.

La gent ailée contrainte par un déploiement anarchique,
Se rendait prisonnière de la densité et de l'obscurité envahissantes.
Alors, d'une vague poussée de l'arrière de l'espace
S'accomplissaient d'inquiétantes manœuvres.

Oiseaux de bon et de mauvais augures que l'on croyait dispersés dans le mystère, surgissaient
En inconnus dans le ciel des hommes.

Aigles de Jupiter, paons de Junon, chouettes de Minerve,
Colombes de Vénus, et quelques autres…se reconnaissaient indissociables du temps des dieux.
Déliés de cette même vénération des cieux, ils étaient enfouis depuis des temps, dans l'immensurable profondeur du vide, comme un mal inscrit, entre l'incurable et la vie.

Face au comble de l'absence,
Pour un dernier recours au silence et afin de retrouver l'impalpable de l'azur,
De leurs becs pourfendeurs et menaçants, tels les éclairs de Zeus,
Les oiseaux exaspérés et demi-fous déchirèrent l'espace anéanti. Car, dans le délaissement et la pleine obscurité ils ne pouvaient se consoler d'aimer l'invisible, et se soumettre ensuite à la mort.

Afin d'assouvir leur passion, c'est par le châtiment capital, qu'ils décidèrent d'attenter à la vie des hommes rendus responsables de cet occulte sacrifice des dieux.

Afin de combler l'absence des idoles
Perdue à jamais dans les ombres,
Ils attaquèrent du plus haut de l'envol,
Femmes et enfants.

Evanouis par le souffle du ressentiment,
Ils frappèrent les corps inermes des mortels,
Sans même épargner la nature et leurs semblables égarés,
Qui s'entremêlèrent aux humains, sur leurs ouvrages déconstruits.

Et tous se confondaient sans vie,
dans cet espace instable de bataille - champ de roches brutes éparpillées,
auxquelles viendraient s'agréger plus tard, les cendres e nouveaux démons.

De cette étendue de solitude où la lumière atteint le néant
Le dernier oiseau guerrier se substitua au vide, d'un ciel volatilisé.
Ce démon détaché des clartés, semblait se perdre à jamais dans sa chute
Comme pour annoncer les temps archaïques révolus.

Dans les brumes épaisses qui recouvrent les lacs, l'obscurité régnait.

Il est des cités de pierres enfuies dans la limbe
Qui ne se distinguent de la profondeur du silence.

Par un souffle prudent issu de l'éternité
La vie de nouveau semblerait tendre ses bras aux esprits apaisés.

Ce sont derrière les linceuls blancs, détendus, que nous percevons le spectre du passé,
Comme si Mnémosyne, déesse de la mémoire et sœur des Titans, ne voulait faire disparaître les cicatrices inscrites par les brasiers et remisées entre les strates veinées, des sols parcourus.

Alors, des rythmes de signes à demi effacés se découvrent,
Arabesques égarées au fond des nacres, miroirs des ombres du ciel et des mers,
D'où semble régner en silence une grâce solitaire.

Sur le fil des lumières, afin de sauver les apparences, les dieux s'étaient retirés comme battus.
Sont-ils devenus des sages ?
Ou des démons dissipés dans le Dieu unique, jonglant indéfiniment avec la vie sur le dos de la mort ?

Retrouvons de nouveau le souffle des choses, car l'existence depuis,
Trouble la fluidité des eaux.

Le suaire des brumes se retirant, dévoile silencieusement le mystérieux abîme, où se dressent des stèles, comme pour sauvegarder d'un rêve au matin, les cœurs meurtris et oubliés.

Les dieux avaient-ils engendré dans leur fuite, une Divinité, qui devait échapper au voyage des morts, sorte de messager du retour de la vie, qui porte encore autour de lui la trace apparente du feu ?


Serait-il le gardien de l'Omphalos, bloc de roche qui désignait Delphes centre de la terre, car Zeus avait lancé de ses extrémités,
Deux aigles qui croisèrent leurs ombres à ce point précis de l'espace ?...

Ce visiteur de la nuit, semble sauvegarder cette part de lointain
Dissipée dans la survie du culte de la pierre.
De l'obscurité des sites, il rencontre des murets dérivant entre les parois de nacre, d'un espace opaque à un autre plus clair, sans profondeur et mat ?
Dans ces parcelles ouvertes, la confusion règne,
Nous obligeant à procéder par des jeux de décryptement…

De fins voiles tissés dans la transparence des choses se sont organisés et

s'épandent en lamés de vie, pour perdurer dans un silence fossilifère.

Séquences simplement imagées,

Que l'on peut appréhender au commencement d'un espace instable,

Limites des brumes disparaissantes, où ne peuvent réellement se livrer les secrets inscrits.

Aux abords d'une marelle, la gardienne du sanctuaire joue d'une scène à l'autre,
Marquant ses déplacements sur les dalles, par des traces en spirales estompées, couleur ocre.
Afin de sauver les apparences nées d'un imaginaire plus humain, elle donne par son éclat toute la lumière aux nombreux paysages collés dans l'opacité que borde la pénombre.

Des lumières se sont posées dans la nuit,
Images composées par le feu, et dessinées par la flamme.
Empreintes d'un jour logées dans l'organisation des suppositions, d'une matière se visitant aux travers de textures soyeuses, sensiblement calligraphiées par des jus colorés et nacrés.
Les déchirures du temps recomposées dans le tableau,
S'offrent au regard comme une peau invitée sur la chair, lieu subtilement perceptible, où se rassemble un univers de signes théâtralisés et silencieux.

Les fragments numérotés se découvrent lors d'un face à face imposé par le regard closerie d'un jeu de miroirs encerclant son metteur en scène, qui depuis la première image semble s'être enfermé comme acteur principal, de chaque fragment.

Sauvons les apparences, les couleurs de la vie sont les plus sobres qui soient…

Frédéric Ballester
16 juin 2000

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